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Monotonie ou « persite et signe »

Malgré la répétivité de la vie à bord, à chaque instant rien n’est exactement pareil. Les cuistots donnent aux ingrédients de base (riz, pâtes, couscous, poulet, boeuf, mouton) leur couleur et leur saveur, les chaussettes ne sont pas mouillées avec la même quantité d’eau, le sac de couchage est plus ou moins tordu, la bannette à des angles un peu différents à chaque fois…

Le paysage est au premier abord monotone, mais il change à chaque seconde, les vagues ne sont pas au même endroit, leur taille varie en tout temps, les nuages se sont déplacés, ils ont changé de forme, ils ont fondu ou au contraire surgi d’apparemment nulle part.

Ces changements tout en nuances – à part ceux qui ne le sont pas à l’arrivée ou au départ d’un grain ou d’un front, me font poursuivre ma passion de naviguer en mer depuis plusieurs décennies; et ce n’est pas les conditions de cette traversée du Pacifique nord, particulièrement ardues, qui m’ont fait changé d’avis. Vous me verrez encore longtemps, je l’espère, sur les mers – probablement pas une nouvelle traversée du Pacifique nord au mois d’avril, de notre belle Terre.

Je persiste et signe.

PS1. Après la pluie, le beau temps, mais « veille au grain » et depuis le petit matin, il y en a eu une bonne dizaine, dont la plupart bien corsés.

PS2. Un peu de 250 nM de la ligne d’arrivée. La bataille pour la deuxième place est rude entre les équipages de LEMAXIMUS et de HMS UNICORN (voir plusieurs des nouvelles des skippers de CV24 et CV30 pour plus de détails sur les surnoms des bateaux).

PS3. De la ligne d’arrivée, située à l’entrée de la passe au sud de l’île de Vancouver, à Seattle il reste encore 120 nM à parcourir.

PS4. L’heure de bord est maintenant à TU-8.

Dominique Hausser sur LMAX Exchange, lundi 11 avril 2016 0000 TUC

Les gants

S’il est relativement facile avec une combinaison sèche et quelques bonnes couches de vêtements de rester au sec et au chaud, c’est déjà plus difficile pour les pieds.

Avec de bonnes bottes en cahoutchouc, doublée de néoprène, de bonnes chaussettes et la combinaison sèche, c’est parfait, pour autant que les bottes soient assez grandes, sinon cela serre et les pieds sont froids. Avec des bottes en cuir ou en gore tex sans combinaison sèche, c’est pas terrible et l’on voit parfois des sacs en plastique emballer les pieds pour tenter de les garder au sec.

Pour les mains, c’est une toute autre affaire. Vingt personnes à bord et au moins autant de recettes. Il y a les super gants « waterproof » qui sont mouillés après la première vague – vu le nombre de coutures, ce n’est pas vraiment étonnants.

Il y a les gants néoprène qui sont par définition mouillés, sauf que n’étant pas tout le temps immergés, l’eau à l’intérieur du gant ne se réchauffe pas et les doigts sont vite glacés.

Il y a les gants de pêcheurs en cahoutchouc doublé, mais leur ouverture laisse l’eau pénétrer à l’intérieur, ils doublent, au moins, de poids et les doigts dans l’eau glacée n’en mènent pas large.

Il y a les gants de cuisine placés à l’intérieur d’autres gants qui devraient garder les mains au sec, mais cela ne résoud pas les autres problèmes décrits précédemment.

Il y a bien sûr la solution sans gant en se les réchauffant dans les poches en général mouillées si ce n’est même pleine d’eau généralement glacée que l’on essaie de chauffer le plus vite possible pour que les mains revienne à une température normale, mais … Aucune des méthodes choisies n’est efficace, même si leurs utilisateurs tentent de se convaincre du contraire et de convaincre les autres.

PS1. Depuis 36 heures le soleil brille, le ciel est constellé de jolis petits cumulus. La visibilité s’étend largement au delà du bras à peine tendu. L’océan Pacifique nord semble presqu’accueillant. Mais bon, le prochain front pointe déjà son nez et va nous tomber dessus tout soudain.

PS2. A moins de 900 nM de la ligne d’arrivée; on voit enfin poindre le bout de cette course 9.

PS3. L’heure de bord est maintenant à TU-9.

PS4. Pas pu me raser depuis le départ de Qingdao; va falloir que je me trouve un bon barbier à Seattle.

Dominique Hausser sur LMAX Exchange, lundi 11 avril 2016 0000 TUC

Sous haute surveillance

Lorsque le ciel est clair, c’est-à-dire relativement rarement, dans la mesure où nous recherchons les zones avec du vent pour avancer vite, que cela signifie se retrouver le plus possible à l’avant d’un front ou dans un front, front signifiant couverture nuageuse importante, lorsque le ciel est clair, disais-je, nous voyons très régulièrement des satellites artificiels traverser la voûte céleste. Ces satellites, envoyés par les agences spatiales des différents pays pour leur propre compte ou pour le compte de compagnies privées, ont des vocations diverses – télécommunications, recueil de données diverses pour la climatologie par exemple, mais surtout pour la surveillance de ce que font les autres; les grandes puissances sont championnes à ce petit jeu là.

Pour mieux comprendre les océans, leur salinité, leur température, leur composition chimique, leurs courants, de nombreuses balises sont larguées régulièrement par des bateaux de transports et parfois des bateaux de plaisance ou de course sur les différents points du globe. Il y a une dizaine de jours, en début de nuit, nous en avons croisé une – ou plusieurs, il semblait y avoir 3 sources lumineuses – indiquant leur présence par une lumière blanche à éclat.

Il y a deux jours, juste avant la tombée du jour, j’aperçois un cylindre noir et relativement brillant émerger des eaux à une vingtaine de mètres de notre voilier. D’un diamètre assez petit sur sa partie supérieur, il semble reposer sur une base plus grande juste en surface de l’eau. Le temps de l’observer que déjà il replonge sous la surface de l’eau pour ne plus réapparaître. Qu’est-ce ? Une balise d’un autre type, un objet flottant non identifié. J’opte pour le périscope d’un sous-marin – nous sommes à moins de 600 nM au sud d »îles russes – en pleine surveillance. Est-il russe, états-uniens, chinois ou … ?

Il a été attiré par le bruit de notre générateur et a du se demander quel engin pouvait produire un tel bruit, d’où la nécessité pour son équipage de venir en surface voir. Ils ont du être un peu surpris par la présence d’un voilier dans cette zone. Je me demande si le capitaine a fait imprimer une photo de notre voilier pour la suspendre au- dessus de sa banette !

PS1. Il fait toujours aussi froid et humide. J’ai sorti le sac étanche (beve bag) pour mon sac de couchage ne sachant plus si la couchette est humide ou seulement froide lorsque je vais me coucher. Cela me donne de la place supplémentaire pour garder mes habits au chaud.

PS2. Nous avançons avec un front associé à un profonde dépression située dans notre secteur NW qui comme l’anticyclone à notre ESE avance avec nous, plutôt nous avançons avec eux.

PS3. Rien à faire Derry-Londonderry-Doire est à chaque rapport de position (toutes les 6 heures) plus en avance. La première place à Seattle sent de plus en plus le roussi.

Dominique Hausser sur LMAX Exchange, samedi 09 avril 2016 0000 TUC

Retour à l’ouest

Non, il ne s’agit pas du titre d’un roman d’espionnage de l’époque du rideau de fer, mais simplement du passage de 179° 59.99999’E à 179° 59.99999’W.

Il y a quelques heures, nous étions 11 heures plus âgés que si nous vivions en Europe. Nous sommes maintenant 12 heures plus jeunes. Vous êtes perspicaces, nous ne sommes revenus que de 23 heures vers le passé et nous ne vivrons pas entièrement une deuxième fois le mardi 5 avril 2016.

Jusqu’à notre retour en Europe, nous allons vieillir un tout petit plus vite que celles et ceux vivant sur le vieux continent.

Nous sommes maintenant à l’arrière du puissant anticyclone du Pacifique nord. Nous devrions rester sous son influence quelques jours vu qu’il se déplace vers l’est et que notre vitesse semble être plus ou moins similaire à la sienne.

Avec un vent du SW, la température est un tout petit plus clémente, mais c’est toujours dans nos sacs de couchage que la vie est la plus chaude.

PS1. L’heure de bord est actuellement TU-10.

PS2. La précédente nouvelle a été envoyée un petit peu en avance pour vous éviter d’avoir à en lire deux en même temps.

Dominique Hausser sur LMAX Exchange, mercredi 06 avril 2016 0000 TUC

Onze

Yannick et Romuald ont terminé 11ème en classe 470 hommes lors de la régate « 47e Trofeo Princessa Sofia » la semaine dernière à Palma de Majorca. Ce résultat leur permet de remplir les critères imposés par Swiss Olympic pour participer aux prochains jeux olympiques d’été qui se dérouleront en août prochain à Rio. Bravo les gars pour cette belle reprise en mains. Je suis fier de vous. « Les jeunes, on se voit à Rio début août prochain. »

NB: ils ont terminés 9ème des championnats d’Europe qui se sont déroulés également à Majorca juste après Pâques.

Retour dans le Pacifique nord.

Le vent est de secteur nord et va le rester ces prochains jours. Nous sommes au portant. Il fait un froid de canard. Les conditions de vent sont favorables pour aller vite, mais nous avons de la peine à reprendre des milles sur Derry-Londonderry-Doire qui nous devancent de près de 70 nM.

PS1. Merci à Marina de m’avoir transmis la bonne nouvelle concernant mon rejeton et son barreur.

PS2. Nous avons engrangés les 3 points du premier à la « scoring gate ». Une bonne nouvelle.

PS3. L’heure de bord est depuis 3 jours en TU+13; je vous laisse deviner pourquoi.

PS4. J’ai vu cet après-midi un de ces tout petits pingoins qui vole et dont je ne sais plus le vrai nom.

Dominique Hausser sur LMAX Exchange, mardi 05 avril 2016 0500 TUC

Dernière demeure

Magnifique, infernal, splendide, angoissant, féérique, grandiose, démoniaque… tel est l’océan Pacifique nord.

Il y a deux jours, deux vagues ont emmené Sarah Young dans ses flots. L’équipage du CV21 a, un peu plus tard retrouvé son corps hélas sans vie. La mer a une fois encore prélevé sa dîme.

Les funérailles ont eu lieu en milieu de journée ce lundi et Sarah a rejoint sa demeure éternelle vers 39N 168E dans l’océan Pacifique nord.

J’adresse toutes mes condoléances à Jim, à la famille et aux amis de Sarah.

J’apporte mon soutien et toute mon amitié à l’équipage du CV21. J’ajoute Sarah à la liste des marins inscrits dans mon coeur et avec qui sont avec moi chaque fois que je navigue.

PS. Ce lundi 4 avril à la mi-journée, lors d’une brève cérémonie réunissant tout l’équipage de CV24, une bouteille rouge est lancée à la mer avec les messages et les pensées personnels.

Dominique Hausser sur LMAX Exchange, lundi 04 avril 2016 0000 TUC

Tapis roulant

Amusant d’avoir une vitesse sur l’eau de 3 noeuds et de 7 noeuds sur le fond. Ces deux derniers jours nous sommes dans une veine rapide du courant qui nous pousse ainsi rapidement vers l’est. Mardi, c’était un peu plus NE.

La période de chasse aux risées semble enfin derrière nous. Une dépression sur notre droite domine maintenant le paysage. Cela a débuté par un grain violent – fort vent, forte pluie, visibilité nulle – imposant à l’équipage une réaction rapide pour continuer à avancer et surtout à ne pas casser. Un grand classique de la voile : des heures. voire des jours sans avoir grand chose à faire, à part pour le barreur une immense concentration pour faire avancer le bateau vite dans une zone de vent faible et variable, puis en quelques minutes la nécessité de changer les voiles d’avant, de prendre des ris.

Nous sommes à nouveau dans le groupe de tête, ce qui est bon pour le moral des troupes et tempère la vie un peu plus inconfortable d’un bateau au près dans une mer bien formée.

PS1. Au tour des premiers puffins. PS2. L’heure de bord est depuis aujourd’hui à TU + 12, soit 10 heures de décalage avec l’Europe, repassée à l’heure d’été ce dimanche de Pâques.

PS3. Joyeuse Pâques, en retard, j’ai oublié ce PS dans ma nouvelle de lundi.

Dominique Hausser sur LMAX Exchange, mercredi 30 mars 2016 0000 TUC

Quarante

40N : c’est la position de la marque sud de la « scoring gate »; c’est encore loin : 170E.

40° : c’est l’angle de gite du bateau dans les grains.

Des grains, il y en a quelques uns, ils ne durent pas très longtemps, ils obligent à des changements de voiles au début du grain et à la fin. Cela fait suer, c’est bon pour le physique des troupes.

Entre temps, le vent est plutôt faible, entre 10 et 15 noeuds. Le ciel est plutôt dégagé, ce qui est bon pour le moral des troupes.

La météo des prochains jours est toujours très compliquées; difficile d’établir une route optimale sur la base des prédictions météorologiques, qui ne se reflètent pas vraiment sur le terrain. Les positions des uns et des autres évoluent continuellement, pas facile pour le mental de l’équipage de voir sa position passer de la tête à la deuxième moitié du classement, de se retrouver au nord de la flotte, puis à nouveau plutôt au sud sans avoir vraiment pu le choisir – en regardant la trace des autres, ils semblent se trouver dans une situation un peu similaire, mais avec des positions qui ont certainement un avantage plus positif sur les équipages.

PS1. L’équipage est toujours très intarnational. Des anglais, des français, dont aucun à part le skipper n’habite en France, trois Belges, un Gallois, un Jersey, un Néederlandais, une Monégasque et trois (3) Suisses.

PS2. Les goélands sont de retour.

Dominique Hausser sur LMAX Exchange, lundi 28 mars 2016 0000 TUC

Mer de Chine : Adieu

Le 24 mars à 6 heures du matin (23/03 2000TU), nous avons arrondi la pointe sud de l’île principale du Japon, marquée pour les marins par le phare de Sata Misaki.

Au lever du soleil, le vent est complètement tombé; nous avons envoyé le « windseeker », la voile créatrice de vent apparent pour attraper les quelques très légères risées en attendant l’arrivée du vent synoptique. Moment très agaçant, car entouré de 5 concurrents faisant la même chose, et comme sur le Léman, les risées ne sont jamais au même moment et de voir le voisin décoller…

Environ une heure plus tard, le vent s’est levé et rapidement devenu fort. Avec un courant de près de 4 noeuds, à notre avantage, mais contre le vent, nous avons affronté une mer dure à très dure. Les combinaisons jaunes sont ressorties des placards, histoire de rester au sec et au chaud.

Avec un splendide soleil, fini les brouillards et les brumes permanentes de la mer de Chine, et les nombreux embruns, le bateau était entouré d’arc- en-ciels éphémères. De nuit, avec la pleine lune, le paysage était magique. Avec ce brutal changement de condition, l’estomac de plusieurs équipiers a été retourné…

Le Pacifique nord nous a accueilli dans la plus belle tradition de cet océan qui porte un nom qui souvent ne le caractérise pas.

Apparemment ces prochains jours, les vents seront faibles à modérés, ce qui ne va nous faciliter la tâche non plus.

PS. L’heure de bord passe à TU+11.

Dominique Hausser sur LMAX Exchange, lundi 25 mars 2016 0000 TUC